Rose des vents le bealle

Le cerf de CERFROID

Au premier abord l'ancien verbe françois froier (Frotter, frapper.) pourrait évoquer un lieu de reproduction où s'affrontent les cerfs mais dans le cas de Cerfroid il n'en est rien ; par contre le lieu d'affrontement n'est pas à exclure…

De la réalité au mythe

Circonvallations

Les camps fortifiés ne se limitaient pas à des fossés et clôtures, des installations complémentaires parfois assez sournoises permettaient de gérer les attaques à plus grande échelle et de maîtriser au mieux les invasions dans l'environnement. Le fief de Cervus Frigidus (Cerfroid), situé sur une marche frontalière (Ourxois) où se touchaient les pays du Multien, du Valois et de la Brie, était de ce fait tenu par un militaire.
Les textes des anciens auteurs qui ont vécu peu avant et au début de l'ère chrétienne permettent de découvrir que le cervus latin, n'était pas qu'un animal. La dangereuse ramure a donné son nom à un appareil défensif, à présent mieux connu sous l'appellation " cheval de frise " qui limite et canalise toute progression ennemie.

Partant de ce sens étendu, il convient alors d'en faire de même pour frigidus issu des verbes latins frigere : avoir froid et faire griller (Le froid mordant provoque des brûlures ; le sens se distingue avec la conjugaison.). La mort, l'effroi, la lenteur, la langueur, la faiblesse, le vide, l'inactivité, la platitude sont des sens complémentaires que l'adjectif frigidus donne à certains mots et donc un lieu particulièrement désert.
Les différentes orthographes rencontrées de Cerfroy ou encore Cherfrey au cours du temps sont assez ressemblantes avec celles du beffroi : berfroi, berfrei, etc.
La racine celtique fr qui forme le début de froy et de frey est issue d'un petit mot très très anciens : vr (ou ur). Il peut signifier selon son interprétation : frontière en ancien italien ou porte en ancien breton. Ur est un cours d'eau séparateur dont la représentation est à la base de très nombreux mots dont par exemple ordre ou frise dans le sens d'une rangée, une bande.
Il est à noter que les verbes fricare : frotter (Frire) et figere : fixer (Figer) en sont assez proches par la prononciation qui ne sont pas à exclure d'une potentielle signification primitive, dont la dernière est privilégiée dans ce cas précis de Cerfroid par M. NOEL dans son dictionnaire Latin-Français. En effet, l'art de la guerre apportait de nombreuses solutions adaptées dans l'élaboration des camps et, de la reconfiguration totale d'un lieu à la dissimulation de pièges, les exemples ne manquent pas pour nous éclairer sur les recours des armées romaines. Dans son Panégyrique de Messala, Tibulle glorifie le génie du militaire et plus particulièrement la manière de planter les cerfs face à l'ennemi : Qualiter adversos hosti defigere cervos.

Cervus frigidus s'avérait donc être un lieu tout aussi stratégique que dangereux. Certains territoires isolés plus sensibles que d'autres étaient donnés aux religieux en vue de porter secours et inhumer les victimes de combats sanglants. Le climat de la " Barbe à Canne " situé à mi-chemin entre Cerfroid et La Grange Cœuret appuie cette théorie, les barbacanes étaient également des fortifications et il y a tout lieu de penser que Cerfroid s'y trouvait en périphérie.

L'influence religieuse.

La geste de Jean D'Outremeuse révèle que, durant les Croisades, un preux a été fait prisonnier en Orient, libéré par des missionnaires il leur a fait don d'un fief devenu, peu après, le siège du nouvel ordre des Trinitaires pour la Rédemption des Captifs : Cerfroid. L'abnégation des religieux fondateurs et de leurs obédients à travers le monde n'a pas suffi à leur béatification, l'autorité ecclésiastique ne permet pas de sanctification au mérite et ce n'est qu'au terme d'une très longue et pointilleuse procédure, qui n'a finalement été obtenue que quatre siècles plus tard, que Felix de Valois et Jean de Matha ont pu rejoindre les martyrs. Cette décision légitime ne s'est pas faite sans l'appui de subterfuges qui la desservent un peu : les premières monographies parues au XVIIe [17ème] siècle relaient abondamment l'origine miraculeuse de l'appellation de Cerfroid et de la fondation de l'ordre : Un cerf mort arborant la croix des Trinitaires initie tout-à-coup une vocation anachronique dont la valeur avait été d'ores et déjà prouvée, la source fraîche proche du couvent où l'animal a été vu soigne les langueurs infantiles, etc. Tout un panel de mérites s'échaffaudent soudain par auteurs interposés qui visent à étayer la nécessité de canonisation.

Les ouvrages relayant la légende ont noyé les versions réalistes et objectives de quelques laïcs et ecclésiastiques. Malgré l'attachement et le soin à documenter l'origine de l'ordre et de ses fondateurs pour rendre un peu de crédibilité à la religion, la demande en matière de surnaturel a hélàs toujours prévalu.

Sources :

Casta carmina C. Valerii Catulli, Albii Tibulli, et Sexti Aurelii Propertii : ad usum scholarum Boicarum selecta - Gaius Valerius CATULLUS,  Albius TIBULLUS, Sextus PROPERTIUS.
Dictionnaire de la langue française - Emile LITTRÉ
Dictionarium Latino-Gallicum. Dictionnaire Latin-Francais, composé sur le plan de l'ouvrage intitulé : Magnum totius Latinitatis Lexicon, de Forcellini, où se trouvent tous les mots des différens âges de la Langue latine, leur étymologie, leur sens propre et figuré, et leurs diverses acceptions, justifiées par de nombreux exemples choisis avec soins et vérifiés sur les originaux - François-Joseph-Michel NOEL
Französisches Etymologisches Wörterbuch - Walther Von WARTBURG
Mémoires sur la langue celtique - Jean-Baptiste BULLET
Novitius seu dictionarium latino-gallicum, Schreveliana methodo digestum ou Dictionnaire latin-françois, suivant la methode de Schrevelius qui renferme les mots des auteurs latins, sacrés et profanes ; avec les etymologies ; les mots synonymes & leurs opposés. Les termes d'histoire, de geographie, de droit, de medecine, de botanique, de mathematique, & des autres arts, &c. Les inflexions des mots qui sont dans les auteurs latins. Pour donner en peu de temps a toutes sortes de personnes, l'intelligence de la langue latine - Nicolas MAGNIEZ

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