Rose des vents le bealle

L'Age, lieu-dit.

Ce curieux terme, qui aurait pu évoquer une époque, sert d'appellation à des lieux concentrés sur d'anciens territoires barbares du centre ouest de la France. La plupart des auteurs tendent à en donner une explication qui suscite toutefois quelques interrogations. Petit retour aux sources celtiques...

L'Age de la marche

Les Pictones (Britaniques.), les Lémovices (Celtes.), les Turones (Gaulois.) et les Bituriges Cubes (Gaulois.) ont cohabité sur place qui ont donné respectivement les appellations de nos régions Poitou, Limousin, Berry et Tourraine. Comme ces peuples devaient s'affronter régulièrement pour élargir leurs conquêtes et leurs ressources ils avaient nécessairement des lieux privilégiés pour s'adonner à leurs pulsions barbares : les marches.

March

En celtique, march désigne le cheval et la terre frontalière qui est issu du picte marc (Borne.) qui désignait leur frontière. Le latin en a tiré mercatus : marché et le vieux françois pour sa part a conservé à marchis la signification de frontière. Par la suite l'homme du roi chargé de garder les territoires frontaliers s'est appelé marquis et le comté de la Marche a pris ce nom du fait de sa position.
La marche située entre le Poitou, le Limousin, le Berry et la Tourraine servait de terrain propice aux incursions belliqueuses des uns et des autres en vue d'élargir leur territoire et c'est justement dans la zone où se jouxtent les limites territoriales de ces peuples que se concentrent les petits lieux-dits " Age ".

L'Age, l'Aix et la Haye

Lorsque l'on étudie un peu plus avant les différents villages, hameaux, fermes et fiefs qui portent ce nom sur une carte, on remarque très rapidement les lieux-dits Haye, -euil ou -aille au nord de la Marche (Langue d'oïl.), Age au centre et Aix, -ac ou -eix au sud de la Marche (Langue d'oc.). La majeure partie d'entre eux ont une position géographique assez isolée : situés un peu en altitude sur une terrasse alluviale assez proche du lit majeur de cours d'eau, tous ces lieux sont à une distance plutôt constante de confluents, à équidistance entre deux ou trois sources d'affluents, voire même sur une ligne de partage des eaux de surface.

Les différents langages celtiques attribuaient des termes particuliers à chaque environnement, ainsi aches, ag, aw ou ew signifiaient cours d'eau puisque les prononciations c, q, g, h et w se substituaient les unes aux autres ; le a pouvait également se prononcer ɛ donnant ainsi lieu aux orthographes ai, æ, ey, etc. (E. g. en vieux françois : age et aigue signifient eau, egail signifie rosée ou aérole signifie ampoule.).

Les fleuves et rivières s'avérant des frontières naturelles, il est assez courant que deux termes se soient réunis au fil du temps pour former un mot comme par exemple l'ewiranda gaulois (Cours d'eau limite.) qui a donné son nom à différents Ingrande (Vienne), Eygurande (Corrèze) ou autres villes dispersées un peu partout sur le territoire français que ces peuples ont occupé.

Il est intéressant à ce stade de considérer la dimension générale de l'Age qui ne concerne que des hameaux, des fermes et des fiefs parfois au nombre de deux ou trois sur une même commune, évoquant qu'ils pouvaient dépendre de différents seigneurs.

Les auteurs semblent s'accorder sur le fait que l'Age, l'Aix et la Haye sont des termes élaborés sur la seule connotation végétale de hay (Forêt en Gallois), or quelques évidences sont certaines :

  • ac, ag et ai sont synonymes d'habitation qui ont donné en vieux françois ai : lieu et aice : territoire.
  • ach est synonyme de ramifications qui a donné par exemple l'ancien terme ache : plante ombellifère (Céleri, persil.) et dont la représentation correspond à un réseau hydrographique. En gallois ach signifie généalogie, ascendance, parenté.
  • ag est synonyme de confluent par son rôle qui a essentiellement évolué en conjonction copulative (Et, avec, agglutiner.).
  • cae et ses dérivés synonymes de clôture qui ont donné le vieux françois haire : haie.

La végétation se développant beaucoup à proximité des milieux aquatiques (Forêt ripisylve.), il n'est pas difficile de considérer l'assimilation qui en a été faite par les celtiques eux-mêmes : aga, haya ou hai (Bois, forêt.), d'autant plus que ces milieux naturels boisés et irrigués servaient de pâturage idéal aux bestiaux d'élevage.

La majeure partie des fiefs en France étaient ceints de haies, surtout sur les régions envahies et, au vu de leur quantité, les lieux-dits Age, Aix et Haye devraient donc en théorie y être fort nombreux. Si certaines communes tendent à concentrer deux ou trois de ces appellations sur leur terroir, la plupart n'en possèdent pas, suggérant par là que l'Age, l'Aix, la Haye et tous leurs dérivés avaient donc d'autres particularités que celle d'avoir simplement été clôturées aux yeux de nos ancêtres.

Le défrichage y a été entrepris parce que la situation s'avérait stratégique pour l'exploitation tout en conservant une distance sécuritaire en cas de crue. Leur position à proximité de sources en ont probablement fait de petites places fortes, des refuges en cas d'invasion plutôt que de simples halliers comme le démontreraient par exemple les appellations " Bois de l'Age ", " Puy de Lage " ou " Ruisseau de l'Âge du Mont ".
Il est également à considérer que les verbes aiger ou aizer des provinces situées plus à l'est étaient en langue d'oïl un synonyme de rouir et évoquent par là que ces lieux défrichés pouvaient accueillir la culture de chanvre ou de lin et que le cour d'eau à proximité servait au trempage des pailles.

Sources :

Glossaire du Morvan - Eugène De CHAMBURE
Les noms de lieu de la France, leur origine, leurs transformations - Auguste LONGNON
Mémoires sur la langue celtique - Jean-Baptiste BULLET
Revue archéologique

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