Samon

Fable de Samin : L'Orme et le Noyer

Sur le penchant d'une montagne,
Haut et puissant seigneur de la campagne,
L'Orme habitait près du Noyer.
Bons voisins, ils jasaient pour se désennuyer.

L'Orme disait à son compère :
En vérité, j'ai lieu de me plaindre du sort.
Je suis haut, verdoyant et fort ;
Stérile avec cela ; point de fruit, j'ai beau faire,
Je n'en saurais porter : la nature eut grand tort.
Je fais ombre, et c'est tout : cela me mortifie.
Voisin Noyer le consolait :
Il te fâche de voir comme je fructifie ;
J'ai trop de ce qu'il te fallait.
Mais que veux-tu, le ciel répand ses grâces
Comme il lui plaît, non pas comme nous l'entendons.
Plus élevé que moi, de vingt pieds tu me passes :
Il m'a fait à moi d'autres dons.
J'ai le meilleur lot à tout prendre ;
Le fruit nous sied fort bien ; arbre qui n'en peut rendre,
N'est à mon sens un arbre qu'à demi.
Mais console-toi, mon ami,
Il ne t'en viendra pas à force de murmure :
Il faut vouloir ce que veut la nature.
Le noyer babillard continuait toujours,
Quand un essaim d'enfans interrompt son discours.
A coups de bâton et de pierre,
Le bataillon lui livre une cruelle guerre.
Le pauvre arbre n'a point de noix
Qui ne lui coûte au moins une blessure.
Il reçoit cent coups à la fois ;
Adieu ses fruits et sa verdure.
La moisson faite, on veut encor glaner.
Sans respect du Noyer, sur lui la troupe monte :
On le rompt, on l'ébranche : il crie : on n'en tient compte
Tant qu'il n'ait plus rien à donner.
Enfin chargés de noix, c'est sous l'Orme tranquille,
que les enfans vont les manger ;
Et l'Orme dit en les voyant gruger :
C'est souvent un malheur que d'être trop utile.

(Inspiré par Ovide.) Antoine Houdar de La Motte - Fables choisies de l'abbé Aubert et de Lamothe-Houdart

Samain ou samonios représente le début de l'importante période de transition du nouvel an qui se met en place entre l'équinoxe d'automne (21-24 septembre) et le solstice d'hiver (21-22 décembre) chez les peuples celtiques qui en faisaient leur première grande fête de l'année puisque le dieu Cernunnos, après son décès au solstice d'été (21-22 juin), sortait de l'enfer à samain pour ensuite renaître.
Cette saison où la durée d'ensoleillement se réduit progressivement oblige de ce fait à poursuivre en nocturne des activités jusque là diurnes, libérant de ce fait une myriade de croyances liées à l'inquiétante pénombre.
L'arbre était autrefois considéré par la majeure partie des peuples comme nourri de l'âme des morts et son ombrage malfaisant ; les druides dans leur position intermédiaire entre les vivants, les défunts et les dieux leur étaient étroitement associés.
Dans la symbolique, le tilleul représente généralement samain chez les peuples celtes, mais en vérité une confusion est survenue au fil des siècles avec le πτελεα (Ptelea), orme du grec ancien, interprété tilia par les étrusques puis les latins surtout du fait qu'ils sont tous deux du même taxon (Magnoliopsida.).
Lieu privilégié pour les réunions communautaires, l'orme et le noyer sont les arbres typiques de Samain ; ces deux essences au feuillage ombrageux étaient parasitées par le même lichen et servaient autrefois de treille naturelle à la vigne, arbre de vie :

Orme

- L'orme pousse à l'entrée de l'enfer auprès duquel évoluent toutes les créatures du rêve : Hydre, Chimère, Harpyes, Gorgones, etc. Il doit probablement cette sordide représentation du fait de la propension qu'ont les vers, champignons et autres parasites à le ronger.
D'anciens peuples en plantaient autour des tertres funéraires.
Sa ramure luxuriante de petites feuilles servait généralement d'abri, pour cette raison il était planté en des lieux stratégiques comme les postes aux chevaux, les places de villages, devant les portes des lieux de culte (E.g. Orme Saint Gervais à Paris.) et des maisons seigneuriales.
Lieu de rassemblement il en a de ce fait pris une connotation fraternelle mais également de justice puisque certains juges (Juges sous l'Orme.) sans auditoire y siégeaient encore au XVIIIe siècle, comme les druides bien avant eux (E.g. L'ormeau des Justices de Saint-Ciers-du-Taillon qui aurait servi de gibet.).
En fonction des régions la justice se rendait aussi sous un tilleul.

Il a donné son nom à de nombreux lieux, ainsi :

- Du gaulois lemos nous trouvons Limeil, Limeuil ou Limejouls.
- Du latin ulmus : Homps, Les Olmes, L'Homme, L'Houme, Lomme, Lormaye, Lormes, Lormois, Lormoy, Lourmois, Olmes, Olmet, Olmeta, Olmeto, Olmi, Ommoi, Omps, Oms, Orme, Ormeoux, Ormes, Ormesson, Ormeteau, Ormeville, Ormoy, Ormoye, Osmoy, Oulmes, Ulmes, Ulmoy, etc.

Noyer

- Le noyer est quant à lui hanté par les sorciers qui s'assemblaient autrefois sous son feuillage à l'ombre létale froide chargée d'une odeur asphyxiante et qui, par leurs maléfices, stérilisaient le sol alentours.
L'arbre sécrète naturellement de la juglone, substance toxique, ses feuilles épaisses et larges empêchant en outre la lumière de passer, la végétation se développe difficilement à proximité ; pour cette raison les noyers n'étaient pas estimés au même titre que les arbres fruitiers, les agriculteurs les arrachaient et ils n'étaient généralement exploités qu'à l'état sauvage sur les bords des champs et des chemins. Son ombrage et sa fructification en faisant pourtant un bon compromis et il pouvait être planté dans une cour spacieuse (E.g. Le Noyer Fée dans la cour de l'abbaye Sainte Geneviève à Paris.).

Du latin ancien nux et nux gallica (Noix gauloise.) ont été nommés de nombreux lieux :

La Nogarède, La Noiraie, La Nojarède, La Nouguière, La Nourraye, La Nozaye, Le Noiray, Le Noiret, Le Nougayrol, Le Nouguiret, Le Noyer, Les Noiraies, Les Noyers, Les Noueraux, Les Nozées, Les Nozeaux, Nauroy, Noers, Nogarède, Nogaret, Nogaro, Noger, Noguès, Noiseau, Noisiel, Noisy, Noizay, Nojaret, Norolles, Noroy, Norrat, Norrey, Norrois, Norroy, Nouerais, Nougarède, Nougaret, Nougaroulet, Nougayrasse, Nougayrol, Nougerède, Nougerol, Nougeroux, Nouguiès, Nourrais, Nourray, Nouzerines, Nouzerolles, Nouzière, Nouzières, Nouziers, Noyer, Noyerey, Noyers, Nozais, Nozay, Nozeroy, Nozeyrolles, Nozières, Nuzeret, Nuzerolles, etc.

Par contre du latin juglans (Noyer et noix) aucune appellation ne semble avoir été retenue malgré la Jugie, les Juglats, etc. ; non plus que l'ancien gallois cnau (Noix.) ou l'ancien breton craon et craoun (Noix.) ou même l'ancien grec καρύα (karya - Noyer.) pour les appellations de Craon, Craonne, etc.

Sources :

De la Demonomanie des sorciers - Jean BODIN
Dictionnaire des origines, découvertes, inventions et établissemens.
Dictionnaire Grec-François composé sur l'ouvrage intitulé Thesaurus Linguæ Graecæ de Henri ETIENNE - Joseph PLANCHE.
Dictionnaire portatif de la fable, pour l'intelligence des Poètes, des tableaux, statues, pierres gravées, médailles, et autres monumens relatifs à la Mythologie - Pierre CHOMPRÉ
Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, & les termes des sciences des arts.
Flore générale des environs de Paris selon la méthode naturelle - François-Fulgis CHEVALLIER
La mythologie des plantes ou Les légendes du règne végétal - Angelo de GUBERNATIS
Le manuel des artistes et des amateurs - Jean-Raymond de PETITY
Les Commentaires de Iules Cesar, des guerres de la Gaule.
Les noms de lieu de la France - Auguste LONGNON
Lettres à Emilie sur la mythologie - Charles-Albert DEMOUSTIER
Mémoire sur la langue celtique - Jean-Baptiste BULLET
Origine et formation des noms de lieu - Hippolyte COCHERIS
Société d'Etudes Folkloriques du Centre-Ouest.
http://www.david-romeuf.fr/Archeologie/CalendrierGaulois/SyntheseRestitutionsCalendrierGaulois.html
http://patrimoines.ain.fr/n/calendrier-et-dieu-gaulois-de-coligny/n:321

Samain justice bois