Silvain BROSSARD

Médecin de Douay demeurant à l'Hôtel-Dieu de Meaux, & correspondant de l'Académie Royale des Sciences, auteur de : Trois mémoires sur l'Agaric (L'Agaric est une excrescence qui vient sur divers arbres).

Memoire sur le topique que le Roi vient d'acheter, pour arrêter le sang, avec la maniere de le préparer & de s'en servir, par M. Faget l'aîné, lû à la Société Royale de Londres, le 7 Septembre 1752.
Monsieur BROSSARD, Chirurgien du Berri, arriva à Paris vers la fin de l'année 1750 ; il proposa un reméde pour arrêter le sang, dont il dit avoir fait plusieurs expériences heureuses dans des amputations du bras & de la jambe.
Il demanda des Commissaires à l'Académie de Chirurgie, pour faire en leur présence de nouvelles épreuves sur differens animaux : il arrêta le sang des plus grosses artéres, après des amputations. Le succès de ce remède pouvoit être équivoque sur des animaux, parce que dans quelques-uns, dans les chiens, par exemple, les grosses artéres se bouchent d'elles mêmes ; on n'en voit presque point périr d'hémorragie. Le sang de ces animaux plus disposé à la coagulation, forme bientôt un caillot qui en arrête l'écoulement. Quoique les expériences sur des animaux ne fussent pas suffisantes par les raisons que je viens de dire, la certitude qu'on avoit que ce reméde ne pouvoit produire aucun mauvais effet sur les hommes, fit permettre à M. BROSSARD de l'employer aux Invalides, dans une amputation de la jambe, qui réussit très-bien : le malade guérit sans accident.
Quelque tems après deux Voituriers eurent les jambes écrasées par les roues de leurs charetttes, qui étoient chargées de grosses pierres. On me porta ces malades à l'Hôpital de la Charité. Comme je ne voyois de ressource que dans l'amputation, je mandai M. BROSSARD, qui appliqua son reméde de la façon suivante.
Lorsque j'eus coupé la jambe, je lâchai le tourniquet pour voir la source du sang. M. BROSSARD appliqua sur l'orifice des deux artères deux morceaux de son remède, d'environ un pouce quarré long, attachés l'un sur l'autre avec un ruban.
Je resserrai ensuite le tourniquet, & M. BROSSARD fit porter les deux rubans qui sont attachés au deuxiéme morceau de son topique, sur le genoüil ; il mit une bourse de linge garnie du même reméde, réduit en poudre, sur toute la playe, & par dessus j'appliquai l'appareil ordinaire. Après le pansement je lâchai le tourniquet pour soulager le malade, & je l'ôtai deux heures après l'opération.
Quarante-huit heures après l'opération, à la levée du premier appareil, le topique tomba de lui-même, & la playe ne donna point de sang. M. BROSSARD n'appliqua alors qu'un simple morceau de son reméde sur les vaisseaux, & je pansai le reste de la playe avec des plumaceaux chargés de digestif, un emplâtre de stirax, & le bandage convenable.
Le troisiéme jour le topique tomba aussi de lui-même au pansement, & le malade fut ensuite pansé à l'ordinaire.
Les mêmes choses furent observées après l'amputation, & dans le pansement du deuxiéme malade.
L'un mourut le cinquième jour & l'autre le neuviéme ; mais il n'est survenu ni à l'un, ni à l'autre aucune apparence d'hémorragie : ainsi le reméde a produit l'effet desiré. Pour constater l'effet du remède, j'examinai les vaisseaux des cadavres, & je les trouvai resserrés, comme s'ils eussent été liés ; & dans les plus gros troncs, je trouvai un caillot de figure conique, qui avoit un pouce & demi de long.
Le caillot ôté, j'eus beaucoup de peine à faire passer un petit stilet dans l'ouverture de l'artére coupée.
Le malade qui mourut le neuviéme jour, avoit de même que le précédent, les artères fort resserrées, mais le caillot avoit au moins quatre pouces de long.
M. MORAND a employé avec succès le même reméde, à la suite d'un coup d'épée au pli du bras. Il a donné à ce sujet un Mémoire à l'Académie de Chirurgie.
Je m'en suis servi aussi plusieurs fois, à l'occasion de l'ouverture de différentes artéres, & toujours avec succès.
On vient de le mettre en œuvre aussi avec succès aux Invalides, sur deux amputations ; on ne s'est servi que de deux morceaux du topique, sans employer la poudre contenue dans la bourse, que je crois fort inutile.
Voilà donc un reméde inespéré, auquel l'Art n'avoit pû suppléer par aucun équivalent. La cruelle application du feu étoit la ressource des anciens : Paré se crut inspiré lorsqu'il inventa la ligature. Mais combien d'accidens n'en résultent-ils pas ? accidens qui sont quelquefois la cause de la perte des malades, & qui paroissent n'être plus à craindre par la découverte de ce reméde, dont les premieres expériences annoncent le succès le plus décidé.
Si ce reméde ne formoit qu'une coagulation de sang, il ne produiroit rien d'extraordinaire. Cette concrétion même ne seroit pas un reméde assuré, sur tout dans les premiers tems qui suivent l'opération : mais que ce reméde resserre si rapidement une grande artère, qu'il y laisse à peine un passage pour un petit stilet, qu'il forme par ce resserrement une espéce de ligature, d'autant plus sûre qu'elle n'est pas faite sur quelques points du cylindre d'un vaisseau, comme la ligature ordinaire, c'est là une opération singuliere que nos mains, ni notre industrie ne sçauroient imiter.
Cette singularité en suppose une autre ; c'est la grande contractilité des artéres. Ces vaisseaux se resserrent naturellement, mais leur resserrement ne les réduit pas aux deux tiers de leur diamétre. Or par l'opération du reméde dont il s'agit, on voit clairement que par cette contraction, leur cavité peut s'effacer presque entierement : c'est dans les plus grands vaisseaux que cette cavité s'efface ; qu'on juge par là de ce qui peut arriver dans les petits.
Ce n'est pas dans des parties mortes que cette contraction peut arriver ; il demande le secours du principe vital, il resserre les parties aux approches de certains corps, c'est-à-dire, qu'il forme dans les corps vivans cette irritabilité qui fait que les fibres pincées ou aiguillonnées se racourcisssent, & réduisent à un moindre volume le tissu qu'elles composent.
Le reméde dont je viens de parler n'est autre chose que l'agaric de chêne. La meilleure espéce pour arrêter le sang est celle que l'on trouve au sommet des gros chênes dont on a coupé les grosses branches ; il y en a des morceaux qui ont la forme d'un pied de cheval. On le distingue en trois parties ; l'écorce, la portion moyenne qui est préférable aux autres, & la plus intérieure qui touche le corps du chêne, qui est celle dont on se sert pour faire le poussier dont j'ai parlé.
La portion moyenne dont nous nous servons pour les amputations, se coupe par morceaux à peu près de la grandeur & de l'épaisseur de celui que j'ai eu l'honneur de vous présenter ; on le bat ensuite à coups de marteau, comme les Cordonniers battent leurs cuirs, jusqu'à ce que ce corps soit devenu molasse.
M. BROSSARD m'a dit qu'il falloit cueillir cette végétation dans l'Automne, après les grandes chaleurs & dans un beau jour. Au reste, il se garde aussi long-tems que l'on veut.
Voila tout ce que j'ai pu recueillir sur le nouveau Topique pour arrêter le sang. S'il se passe quelque chose à cet égard qui mérite de vous être communiqué, je profiterai avec empressement de cette occasion de vous plaire. Signé FAGET, Chirurgien-Major de l'Hôpital Royal de la Charité à Paris, Conseiller de l'Académie de Chirurgie, & Membre de la Société Royale de Londres.
1752 - Le Roi a accordé une pension au sieur BROSSARD, Chirurgien de la Châtre en Berri, qui a rendu publique la préparation de son Agaric, pour arrêter l'hémoragie des Artères sans ligature, & nous nous flattons qu'on nous sçaura gré d'en faire part.

A lire : Agaric de Brossard