Rose des vents le bealle

Les Papesses, lieu-dit.

Pourquoi dit-on " une soupape " ?
On devrait dire " un soupape ", ou " une sous-papesse ", naturellement.
Au fond, vous savez, je m'en moque comme un vobiscum de sa première messe.
Albert HUMBERT (La Lanterne de Boquillon.)

La racine pap

La lettre phénicienne pe ressemble à un c inversé, cette forme ouverte symbolise à l'instar du gimel un contenant. Les deux lettres se différencient par leur représentation : le gimel est un angle obtus, un objet pour stocker et transporter, et le pe est un arc de cercle, une cavité de l'être vivant (Buccale, auditive, abdominale, etc.). La proximité de leur sens les a parfois fait confondre notamment avec le grec gaster (Ventre).
Le son, la nourriture s'assimilent et font croître l'individu. La connaissance transmise par une personne sage et expérimentée, le chant élaboré par l'oiseau ont donné le mot celtique pap.
De cette racine commune à de nombreuses civilisations le latin a élaboré en ce qui concerne nos contrées outre la forme affectueuse et bienveillante du père :

  • Papa : pape.
  • Papaveratus : blanc, délié, orné ou tissé avec des fleurs de pavot.
  • Papas : précepteur.
  • Papo : manger (Le pap celtique était aussi une bouillie).
  • Pappus : vieillard. La pillosité blanche a par la suite été employée pour qualifier les soies blanches de certaines plantes comme le pissenlit ou le seneçon arrivés à maturité dont les aigrettes se dispersent au vent.
  • Papyrus : papier, amiante (Papyrus montana).

La figure d'autorité, le père, chef et seigneur porte le sceptre quand le baton est le perchoir indissociable de l'oiseau ; ainsi l'ancien jeu populaire du papegai consistait à tirer sur un oiseau de bois fixé en haut d'un mat, l'ancien breton pape-gault est un perroquet vert (Papegeai).

L'influence celtique

En fonction de l'environnement, un lieu-dit " Papesse " est donc plutôt une possession récente puisque ce terme n'apparaît dans aucun écrit connu antérieur au XIe [11ème] siècle, déduction qu'il convient toutefois d'étayer…
Sur la commune de Chalifert par exemple Les Papesses se trouve à proximité du climat Les Belesmes tiré de Belisama : divinité gauloise des armes, du tissage mais aussi guérisseuse, qui fait assurément référence à une plus grande antériorité que le Moyen Age. En effet, au néolithique des populations occupaient déjà la colline, l'incroyable diversité des éléments mis au jour par des fouilles archéologiques a permis d'établir qu'il s'y était développé très tôt un commerce assez florissant de silex.
Les autres cantons évoquent également le blanc : Galases (De galace : blanc), Besmes (De belisama : très blanc ou de basme : baume) au nord. Un autre lieu " Persinières " le jouxte au sud qui est quant à lui tiré de l'ancien françois préseignier (Bénir).
Selon toute évidence une entité féminine protégeait une partie de la colline, était-elle servie par une ou plusieurs dignitaires de haut rang ?
Les anciens autels ayant pour la plupart été abandonnés, transformés en temples romains puis en églises par les catholiques, le lieu n'a conservé sa caractéristique sacrée que par son nom.
Diriger un clan et officier aux rituels n'était pas exclusivement réservé à la gente masculine, la culture celtique nous apprend que les femmes ont joué leur rôle aussi bien à la tête de troupes armées que de ministères religieux. Une hiérarchie distinguait déjà à l'époque gallo-romaine des religieux de tous ordres aux titres vernaculaires : le sacerdotes latin était le grand prêtre d'un lieu sacré, l'antistites templi était le prêtre d'un sanctuaire tout comme le gudja germain, etc. qui se différenciaient des druides.

Le terme prêtresse n'ayant pas été choisi pour le terrain suggère un grade supérieur et trouvait donc son équivalent dans une sorte de sainte ou dévote de souche.

Comment d'une glose nait une légende...

Le terme de papesse en lui-même dans sa forme connue la plus ancienne serait apparu dans la seconde moitié du XIe [11ème] siècle dans les critiques d'un certain Muiredach mac Robartaig, scribe irlandais plus connu sous le nom de saint Marianus Scotus. Une des annotations marginales trouvée sur l'un de ses manuscrits a été relayée par de nombreux auteurs qui ont apparemment mal interprété l'information, l'imposture a durant des siècles permis de ridiculiser la sphère ecclésiastique, chacun allant de sa propre théorie quant à une certaine Jeanne qui aurait pris place sur le trône pontifical durant quelques années.

Le mot, réservé jusque-là à la fable, n'a réellement trouvé sa légitimité qu'à partir du XVIe [16ème] siècle quand Henri VIII [8] sépare l'église anglicane de la souveraineté papale. Il se promeut chef religieux, puisque le Vatican lui refuse l'annulation de son mariage avec Catherine D'Aragon, et confère donc par mariage le titre de papesse aux reines d'Angleterre. La papesse est devenue progressivement populaire pour devenir une représentation du savoir à l'heure où le deuxième sexe peinait à s'extraire de sa condition.

En France au siècle suivant a émergé le rigoureux mouvement janséniste qui s'opposait entre autre dans sa politique à la souveraineté papale, certaines abbesses ont à ce titre été qualifiées de papesses.

Sources :

Catholic encyclopedia
Dictionnaire de la langue française - Emile LITTRÉ
Erreur populaire de la papesse Jane - Florimond De RÆMOUND
Mémoires sur la langue celtique - Jean-Baptiste BULLET
Novitius seu dictionarium latino-gallicum, Schreveliana methodo digestum ou Dictionnaire latin-françois, suivant la methode de Schrevelius qui renferme les mots des auteurs latins, sacrés et profanes ; avec les etymologies ; les mots synonymes & leurs opposés. Les termes d'histoire, de geographie, de droit, de medecine, de botanique, de mathematique, & des autres arts, &c. Les inflexions des mots qui sont dans les auteurs latins. Pour donner en peu de temps a toutes sortes de personnes, l'intelligence de la langue latine - Nicolas MAGNIEZ
Revue des études anciennes - Remarques sur la plus ancienne religion gauloise - Camille JULLIAN
Revue du Nord - Des influences jansénistes dans une ville industrielle, Tourcoing aux XVIIe et XVIIIe siècles - Paul DELSALLE